Dick était littéralement allongé sur un banc en plein cœur du centre commercial, jambes étalées et s'appuyant sur un coude. Dans sa traditionnelle robe de chambre usée passée par-dessus un vieux short et méritant un bon lavage, et avec ses inconditionnelles lunettes de soleil sur le nez, il avait tout d'un clodo.
C'était voulu. Dick s'était longuement dit un jour que les clodos avaient la belle vie à ne rien faire de la journée tout en voyant du monde et récoltant du blé. Alors il y avait tout aussi longuement réfléchi et, muni d'une boîte de conserve vide, il s'était trouvé un bon emplacement au centre commercial pour voir si, lui aussi, il allait se faire un peu de blé en plus tout en en glandant pas une.
Jusqu'ici, l'après-midi avait été plutôt fructueuse : trois dollars et un bonbon donné par un gamin. De plus, aucun vigile ne s'était encore montré.

"Une 'tite pièce ?", lança-t-il une nouvelle fois à qui voulait bien l'entendre sans regarder personne en particulier derrière ses verres teintés.

Dick n'avait pas obtenu un grand succès en réponse à sa question. Pas grave, il l'avait de toute façon posée dans le vide et savait très bien que la plupart des gens passaient sans lui prêter une forte attention.
Puis vint une autre bienfaitrice. Une femme, pas trop vieille, qui avait tout de celle qui aime faire du shopping et flâner dans un centre commercial. Peut-être Dick la reconnu-t-il pour l'avoir déjà vu sur le parking du college communautaire, peut-être s'en fichait-il. Elle s'approcha, sous le regard bienveillant du glandeur -regard bienveillant malgré ses lunettes de soleil-, prête à lui donner une 'tite pièce en plus, quand, le dévisageant à moitié, elle commença à l'interpeller, visiblement choquée.

Dick était du genre impassible en toute circonstance, alors une de plus qui lui disait de se trouver un job plutôt que de glander, ça lui passait à dix mille au-dessus du crâne. Sauf que la nana ne lui balança pas de se sortir les doigts du fondement, comme d'autres l'auraient fait. Non, elle lui dit quelque chose d'un peu plus énigmatique que Dick n'essaya pas de déchiffrer.
Il laissa passer un silence complétement plat et vide de toute expression avant de répliquer d'un ton calme, neutre et innocent :
"Vous me donnez une pièce alors ou pas ?"